Progresser vers l'équilibre : calmement actif, activement calme
Notre vie est souvent troublée par des événements imprévisibles. Nos esprits sont souvent envahis par des pensées, des désirs et des peurs qui nous stressent encore plus. Tout ceci enclenche une réaction en chaîne impliquant nos émotions, notre langage, nos réactions physiologiques et des pensées qui nous envahissent davantage. On se sent facilement impuissant face à ces perturbations. Puis, après la tempête d’émotions et de pensées, on ressent du remord et même de la culpabilité envers notre faiblesse. Que se passe-t-il ?
Comment le yoga peut-il aider à maîtriser notre nature humaine, afin de ne pas se laisser emporter par de telles réactions ?
Patanjali aborde ce problème dès le début dans ses Yoga-Sûtras (verset I.16) : « Cette liberté gagnée sur les forces constituantes (de la nature) (qui survient) grâce à la réalisation (du Soi) est suprême. » Les forces constituantes de la nature, les gunas, comme on les appelle dans la philosophie du Samkhya sous-jacente au yoga, sont rajas (prédominance de l’activité), tamas (prédominance de l’inertie) et sattva (équilibre).
La plupart du temps, nous sommes animés par rajas ou tamas. Par exemple, quand nous essayons de méditer, et que nous nous sentons agités, ou que nous éprouvons le besoin de faire autre chose, c’est la force universelle de rajas qui nous habite.
Quand nous ressentons de la fatigue ou que notre mental est confus ou perdu dans des rêves, nous sommes sous l’influence de tamas.
Cependant, à cause de notre nature égocentrique, nous considérons l’agitation ou la fatigue comme étant un simple conditionnement personnel. Nous essayons de limiter leur influence de différentes manières comme en fumant, en parlant, en faisant du sport, en mangeant ou en buvant. Ceci aura un effet compensatoire temporaire, mais ne fera rien pour nous libérer réellement de ces forces universelles.
Les sages, comme Patanjali, ayant détecté ce dilemme humain universel ont développé des techniques de yoga pour renforcer la troisième force universelle : sattva. Nous pouvons ressentir cette force à chaque fois que nous ressentons le calme, la sérénité, la clarté d’esprit, le contentement ou l’inspiration. Cela s’accompagne d’une forme de rayonnement. On est « calmement actif et activement calme. » La pratique des asanas, du pranayama, de dhyana, des mantras et du Bhakti-Yoga, accroissent tous sattva et réduisent l’influence de tamas et de rajas. Par conséquent, les fluctuations du mental, ou vrittis, commencent à s’apaiser, et nous commençons à nous détacher des objets de désir, qui étaient auparavant des sources de peine et de plaisir. Mais nous sommes souvent sujets à leurs souvenirs et par conséquent nous fantasmons fréquemment. Nos samskaras, ou les tendances habituelles, continuent à nous placer sous le contrôle des forces de tamas et de rajas comme nous le faisions auparavant. C’est pourquoi, le détachement au début demande de l’effort.
Il y a un débat entre les partisans du yoga classique, qui comme Patanjali pensent que l’effort est nécessaire pour surmonter l’influence des gunas et des samskaras, et les partisans de l’Advaita Vedanta qui affirment qu’il suffit seulement d’être puisque seul le Soi est réel. L’Advaita Vedanta, la philosophie de non-dualisme, affirme que "tat tvam asi", que « je suis Cela, » et que le monde est illusoire, si bien que la pratique du yoga, non seulement n’est pas nécessaire, mais est même considérée comme une distraction. Le vedantin dirait : parce que les gunas sont seulement apparents, il n’est pas nécessaire de faire quoi que ce soit pour surmonter leur influence, soyez simplement votre Soi. Le yoga classique s’est développé à partir des philosophies de Vedanta et du Samkhya, comme une approche pratique de la réalisation et de la transformation du Soi.
Quelle philosophie choisir ?
Je pense que cela dépend de chacun. Quand on est calme, centré, très présent et conscient, sattva domine, il n’est pas nécessaire de faire quoi que ce soit ou de faire un effort pour réaliser le Soi. On a seulement besoin d’être. Lorsqu’on est agité, plein de doutes ou fatigué, on a besoin de faire un effort pour compenser les effets de tamas et de rajas, jusqu’à ce que l’on soit ancré en permanence dans l’état de réalisation du Soi. Alors, comme le dit Patanjali dans le verset I.16, cette liberté gagnée sur les gunas devient suprême. Quand on réalise de manière permanente le Soi, la joie et la paix apportent un tel sentiment de satisfaction que nous arrivons à discerner le Soi du non-Soi, et avec cela nous perdons même le désir de nous plonger dans des fantasmes subconscients. Ils ne sont plus capables de nous affecter. Pour l’être éveillé, le détachement et l’absence de désir ne sont pas basés sur le contrôle mais sur la conscience constante et spontanée du Soi supérieur qui est toujours omniprésent et en joie en toutes circonstances. Le détachement suprême se fait sans effort.
Dans cet état d’équanimité, on ne s’identifie plus avec des désirs quelconques.
Comment obtenir cet état ?
En cultivant le détachement, le contentement, l’endurance, l’intrépidité, la gaieté et l’adaptabilité dans toutes les situations. Si vous ne pouvez ressentir cela dans toutes les circonstances, demandez-vous pourquoi. C’est seulement en répondant avec honnêteté à cette question que vous gagnerez à nouveau une libération permanente et sans effort de ce qui vous empêche de réaliser le Soi.
Tous les droits réservés © par Marshall Govindan 2007
Cet article est un extrait du livre "Kriya Yoga : réflexions sur le chemin spirituel" par Marshall Govindan https://www.babajiskriyayoga.net/french/bookstore.htm#kriya_yoga_r%C3%A9flexions
Marshall Govindan est l’auteur du Kriya Yoga Sutras de Patanjali et les Siddhas, Babaji et la tradition du Kriya Yoga des 18 Siddhas, et plusieurs d’autres livres au sujet de Yoga.. Il offre des formations dans le Kriya Yoga de Babaji à son ashram en Estrie depuis 1992. www.babajiskriyayoga.net courriel : info à babajiskriyayoga.net