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Les émotions

Colère

Les émotions s’accompagnent de modifications physiologiques entraînant des variations hormonales, des crispations musculaires, des variations de fréquence cardiaque et respiratoires…
Par le biais de l’observation de soi (svadhyaya) et des autres, ces modifications peuvent se percevoir.
C’est de cette façon qu’un comédien joue une émotion, il mime les modifications physiologiques induites par celle qu’il cherche à incarner.

Il existe une sensation qui accompagne l’émotion, elle est spécifique à chacun, chacune et pour chaque individu, c’est le rasa...

Chaque rasa s’associe à des pensées

Le yoga permet de prendre conscience de ce parfum émotionnel et du paysage intérieur des pensées qui l’accompagnent.
En cuisine, nous harmonisons des parfums et des saveurs pour créer un art culinaire sur la base de recettes qui, à chaque fois, vont être interprétées différemment et donner un goût particulier et unique. Pareillement, notre paysage émotionnel, notre rasa du jour, de l’instant où nous sommes, est à chaque fois singulier et nous est tout à fait personnel.
Changer cet équilibre par un travail sur soi avec le yoga et la méditation va induire un autre climat émotionnel.
Les pensées viennent justifier les émotions et se rationalisent ensuite pour justifier encore davantage celles qui sont présentes. Le yoga et la méditation apportent une prise de conscience de ces processus. À partir de cette observation, nous pouvons devenir sujets et ne plus subir les expériences répétées liées à nos samskara ou vasana.
De même l’orientation de nos pensées va induire un climat émotionnel différent.

Chacun a pu l’expérimenter en rencontrant par exemple une connaissance ou -en lisant un livre qui évoque un souvenir. Le fait de se remémorer ce souvenir va produire une émotion qui lui sera liée. En regardant un film violent, nous aurons tendance à ressentir une émotion de colère et/ou de peur. En lisant un livre pessimiste, nous n’aurons plus le moral et plongerons dans la tristesse ou le dégoût. Toutefois, nous avons le pouvoir d’orienter nos pensées, par le yoga et la méditation, et d’atteindre les états vertueux de la pensée positive, de la foi, de la confiance, de shraddha, du lâcher-prise, de Ishvara Pranidhana, de l’acceptation de l’imprévisible, d’une confiance en la vie et en Soi.

Si un enfant veut traverser une rue devant une voiture qui passe et que je me mets en colère en l’attrapant par l’épaule pour l’empêcher de traverser, ma colère se justifie… mais si je me mets en colère parce que la situation que je vis me rappelle une autre situation qui m’a préalablement mise en colère, alors le travail doit être entrepris.

La question est donc la suivante

Une fois la situation passée, la colère devrait l’être, elle aussi. Si ce n’est pas le cas, c’est que quelque chose n’est pas digéré dans les émotions. Un travail avec ardha matsyendrasana avec des expirations longues et profondes, avec des rétentions poumons vides, un pranayama comme anuloma ujjayi, ou un mantra sur le cœur et l’amour va aider à éliminer toutes les traces émotionnelles du corps et du mental.

Le klesha à l’origine de la colère est l’égo. Cette émotion est en lien avec le 1er chakra et le sentiment d’insécurité, le klesha abhinivesha de la peur (la peur de mourir Yoga Sutra-II-2).

La colère peut venir d’un sentiment d’injustice, de frustration, de peur ou du besoin de faire reconnaître son point de vue. La colère est une émotion qui vient de très bas, elle est instinctive, dans le premier chakra dit muladhara chakra. Il est parfois plus sain d’accueillir la colère pour ce qu’elle est, une émotion qui vient et qui passe comme un nuage dans le ciel. Les émotions sont comme des personnages incarnés les uns après les autres par un comédien dans une pièce de théâtre. Il est alors préférable de ne pas s’enfermer dans ces jeux de rôle et de ne pas poser d’acte ou prononcer de parole tant que nous sommes sous l’emprise des émotions. En ayurvéda, il est conseillé de ne pas manger lorsque l’on est en colère afin que cette émotion ne s’ancre pas davantage dans le corps et le mental.

Le swami Vishnudevananda disait que l’aura de la personne en colère avait une très vilaine couleur, marron…
L’allongement de l’expiration et le chant dévotionnel peuvent être des moyens très puissant pour agir rapidement sur cette émotion et sortir des schémas répétitifs de la vie de tous les jours.

L’ayurvéda permet de comprendre comment les émotions agissent sur notre caractère et nos pensées.
L’ayurvéda est la science de la vie dans la tradition indienne millénaire.

Elle part du principe que nous sommes tous constitués des cinq éléments que sont la terre, l’eau, le feu, l’air et l’éther. Les doshas sont les regroupements de ces éléments de la classification ayurvédique

• pitta : feu et eau,
• vata : air et éther,
• kapha : terre et eau

Nous sommes tous faits des trois doshas, mais dans des proportions différentes qui déterminent notre personnalité, notre nature de base.

Voici l’exemple d’Aline qui souffrait d’une colère chronique et de douleurs inflammatoires dans le corps. J’ai d’abord demandé à Aline son accord pour établir son bilan ayurvédique, en déterminer sa constitution et mieux connaître son paysage émotionnel. Aline avait très envie de connaître sa constitution et comprenait l’intérêt de ce travail de recherche sur elle-même.

Après un échange de deux heures durant lequel je l’ai écoutée, interrogée et examinée (notamment en prenant son pouls), j’avais presque tous les éléments pour établir ce bilan. Comme je l’ai expliqué à Aline, toute la difficulté allait être dans le fait de savoir faire la distinction entre sa prakriti (sa vraie constitution, sa vraie nature) et sa vrikriti (induite par les expériences, la vie).

Après avoir notifié à Aline à quel type de personnalité correspondait chaque constitution, je lui ai demandé dans lesquelles elle se retrouvait le plus.

Je lui ai par ailleurs bien précisé que ce bilan ne la définissait pas une fois pour toutes, que je pouvais me tromper, qu’il suffisait d’un oubli dans une information importante de sa part ou d’une interprétation de ma part, pour que le bilan ne soit pas exact entre la part faite à la prakriti et celle reliée à la vrikriti.

Or, mes résultats concordaient avec le sentiment d’Aline : les voici :

Constitution ayurvédique

Prakriti (constitution au moment de la conception, sa vraie nature) : Pitta Vata (Pitta : Feu et Eau, Vata : Ether et Air) ;
Vrikriti (les excès liés aux expériences et à la vie) : Pitta Vata.
Présence d’ama sur la langue.
Le pouls est pitta vata des deux côtés et à tous les niveaux. Le bala est faible.
Agni faible, manque d’énergie, les médicaments troublent sa digestion.

Aline est suivie par un rhumatologue, car elle est atteinte de polyarthrite rhumatoïde. Le rhumatologue lui a prescrit de la cortisone pendant plus de 18 ans. Elle a des douleurs très fortes dans les poignets, tous les matins au lever. Aline voudrait diminuer son traitement et a tenté plusieurs fois, mais sans succès pour l’instant. Au début du suivi, Aline souffrait d’érythèmes noueux et des nodules rhumatoïdes (ce qui est le signe d’un excès de Pitta, de feu).

Aline sait que son mari fréquente une ancienne amie, actuellement collègue de travail avec qui il entretient une amitié amoureuse. Il lui a certifié être dans une relation purement amicale avec cette personne. Cependant, Aline se sent trahie car elle sait qu’il a failli la quitté pour cette femme. Aline n’a pas entièrement confiance en son mari, et se dit qu’il doit aimer cette personne, il en découle une émotion de jalousie, qui se décline de la contrariété à la colère, suivant les moments de sa vie et comment elle se sent.

Dans son enfance Aline n’était jamais en colère, mais ne se sentait pas aimée, du moins c’est ce qu’elle m’a affirmé pendant les entretiens ; cependant, lors d’un atelier sur les émotions, elle m’a révélé avoir eu très jeune, une grande colère à un moment donné mais que ça n’avait pas duré longtemps.

Aline suspecte que sa polyarthrite rhumatoïde a pour origine cette émotion de jalousie. Le début des symptômes de cette maladie a été précédé, peu de temps auparavant, par ce sentiment de jalousie. Aline m’a dit ressentir de la frustration et de la colère de voir cette douleur physique revenir tout le temps, puis à la longue, de l’abattement, de la tristesse ; mais l’émotion dominante, et qui la gêne le plus est la colère.

Analyse des douleurs et des émotions d’Aline à la lumière de l’ayurvéda

Aline a souhaité avoir un accompagnement sur l’ayurvéda et les émotions et je lui ai proposé un suivi pendant un an avec des massages abhyanga et des conseils sur le style de vie et l’alimentation. Le travail énergétique par le massage ayurvédique a eu un impact sur les émotions d’Aline.

Voici son retour : «C’était fantastique, j’ai ressenti du bien-être, une sensation de paix, de bonheur. J’étais bien dans mon corps ce qui est rare ces derniers temps. Cela m’a donné de la joie. »

Pendant tout le suivi, Aline a tenu son journal en notant les dates, les heures, les repas, les aliments pris et les émotions qui survenaient avant et après, et si un évènement non-mentionné sur le journal pouvait être la cause de cette émotion.
Aline souffre d’une polyarthrite rhumatoïde qui se manifeste par des douleurs articulaires avec des sensations de chaleur liées à l’inflammation et parfois des protubérances apparaissent notamment au niveau de la main. Ce qui révèle un excès de Pitta (augmentation d’agni, le feu) et à moindre échelle de Kapha (augmentation de la matière, excroissance des tissus). L’émotion de la colère est une émotion liée à l’excès de Pitta. La jalousie est une émotion qui découle de la colère. (Voir le livre de Peter Marchand sur les 9 rasa, la colère étant liée à un excès d’énergie, et souvent un sentiment d’injustice, elle génère de la chaleur, de l’échauffement). Sur les premiers journaux d’Aline apparaissait une consommation importante de tomate, de lait de fromage, de viande et de café. Sur mes conseils, Aline a diminué sa consommation des aliments Pitta comme les tomates (aliment au rasa acide qu’elle mangeait tous les jours), et des aliments Pitta et Kapha comme la viande et les produits d’origine animale (exemple le lait et le fromage), et le café qui augmente le pitta rajasique (qui augmente une activité nocive). La tomate est un aliment pitta car son Rasa est acide, et il augmente l’acidité du corps, or l’acidité est particulièrement liée aux émotions de colère et de jalousie et alimente le terrain inflammatoire du corps. Après avoir participé au stage sur l’auto-massage ayurvédique et les Pratiques ayurvédiques, Aline a commencé sur mes conseils à se préparer chaque jour, un litre d’infusion pour en boire tous les matin un verre toutes les heures dans la matinée (1 cc fenouil, 1/2 cc coriandre, ½ cc cardamome, ½ cc clou de girofle, ½ cc cumin, ¼ de curcuma et ¼ cc de gingembre (pour servir de véhicule aux autres plantes et les amener dans l’organisme là où c’est nécessaire)) et à mettre en place d’autre modifications alimentaires.

Les processus de la maladie étant enclenchés, celle-ci a temporairement repris le dessus plus tard et le rhumatologue n’a pas réussi à réduire durablement le traitement que prenait Aline. Cependant, l’émotion de la jalousie vient moins souvent. Je sens quand Aline m’en parle que ça la remue moins. Pendant la durée du suivi Aline a beaucoup dialogué avec son mari. Puis Aline a cessé de ressasser et cette émotion s’est atténuée. Le suivi ayurvédique lui a permis d’en prendre conscience et de prendre davantage de distance vis-à-vis de cette émotion. Il y a eu une amélioration de son état, la maladie revient régulièrement, c’est difficile de diminuer les doses de médicament. Depuis les modifications mises en place par Aline, le terrain inflammatoire s’est stabilisé, mais la maladie s’intensifie par période, l’émotion de la jalousie a diminué dans son ensemble. Aline a pris de la distance vis-à-vis de cette émotion.

La prise des médicaments rend difficile l’évaluation des effets du changement de régime alimentaire. Aline me dit que l’arrêt de la consommation excessive de tomates et la diminution importante de la consommation de viande l’aident à moins souffrir dans son corps et dans sa tête.

Au premier rendez-vous pour un cours de yoga ayurvédique, Aline m’a demandé une pratique pour être moins dans la colère, moins dans le stress et la colère et plus dans la paix et la joie.

Je lui ai d’abord proposé une pratique avec des flexions en Uttanasana, allant vers des expirations plus longues et des poumons vides marqués, pour calmer le stress. Puis une ‘’table à deux pieds’’ avec visualisation de la lune et le début du chant védique « yopam pushpam veda » (il s’agit d’un mantra apaisant en lien avec la lune), une torsion allongée sur le dos, apanasana, un pranayama en anuloma viloma suivi de shitali, puis tadaka mudra, allongée sur le dos pour donner de l’espace à l’expression de sa colère et la calmer. Enfin, j’ai proposé un ‘’cobra, bras en arrière’’, puis un ‘’arc sans tenir les pieds’’, pour ouvrir l’espace du cœur, offrir aussi de l’espace afin d’accueillir la joie, par une contre-posture en apanasana et une relaxation avec un scan du corps pour revenir dans l’instant présent et ancrer le renouvellement émotionnel produit.
Aline a commencé à mettre en pratique cette séance, au début tous les jours, puis les pratiques se sont espacées pour devenir plus sporadiques. Aline n’a pas eu le temps de tenir un journal quotidien, mais après quelques mois, elle a résumé les résultats de sa pratique, précisant qu’au fur et mesure ses émotions de colère et de jalousie se sont modifiées, en prenant moins de place.

Quelques mois plus tard, les demandes d’Aline ont changé. Voici ce qu’elle m’a dit : «Ce qu’il y a de dominant à gérer c’est l’agitation intérieure, des pensées incessantes, pas vraiment des émotions, parfois de la colère. J’aimerais aller vers plus de calme, plus de paix. »

Je lui ai proposé une pratique avec un effet langhana qui se réalise via des expirations sur un mouvement en fermeture, en trois kramas (dans la position du quatre-pattes, en ramenant le bassin vers les talons pour calmer les agitations du mental) et des inspirations sur place, suivies d’une torsion en assise, matsyendrasana afin d’essorer et nettoyer les organes, en particulier le foie (où se logent les traces émotionnelles de la colère et ses dérivés, dont la jalousie fait partie, comme l’indiquent l’ayurvéda et la médecine chinoise) et la rate (où se logent les traces émotionnelles de ressassement de tristesse). Le but étant de faire un travail d’élimination langhana sur le feu, qui nettoie et clarifie le mental. J’ai cherché à lui donner une pratique douce qui respecte ses articulations et lui ai proposé une ‘’table à deux pieds’’ brimhana, tonifiante, ouvrant le plexus solaire et propice à la joie et au sentiment de bonheur.

Aline m’a confié que grâce à ce suivi, elle a réussi à affiner sa pratique, à l’adapter à ses besoins. Elle m’a dit en retirer beaucoup de calme, de sérénité et parfois de la joie. Aline pense avoir pris de la distance avec ce sentiment de jalousie qui revient régulièrement dans ses pensées, c’est souvent au prix d’une légère tristesse. Maintenant, Aline se sent plus apaisée et plus sereine avec des émotions plus nuancées.

J’ai félicité Aline pour son travail et son assiduité dans sa pratique.
Son expérience est inspirante à bien des égards, car même dans le doute, elle n’a jamais perdu la foi en Ishvara Pranidhana, et a réussi à transformer ses émotions en amour pour vivre pleinement sa vie comme elle le sentait avec sérénité…

Catherine Douat

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